Grand fauteuil.

Depuis leur création vers 1740 et jusqu’à la Révolution, les Grands Appartements du Palais Rohan étaient dotés d’un superbe mobilier, en majorité exécuté en même temps que le somptueux décor intérieur et, de plus, par les mêmes équipes d’artisans. L’adéquation des meubles aux boiseries était ainsi totale, tant du point de vue des dimensions que de celui du style. Les ventes révolutionnaires ont, de même qu’à Versailles, malencontreusement vidé le Palais Rohan de son mobilier d’origine, mais on peut affirmer qu’une grande partie de celui-ci existe encore, en Alsace ou ailleurs, dans des collections publiques ou privées. Fort de cette conviction, en me fondant à la fois sur l’analyse stylistique et sur des documents d’archives, j’ai tenté, par une politique systématique d’achats, de dépôts, d’échanges et de recours au mécénat privé, de remeubler avec leurs éléments d’origine les Grands Appartements du palais. Parmi les pièces de ce mobilier dispersées à la Révolution réapparut vers 1890, dans le commerce des antiquités strasbourgeois, un fauteuil réputé provenir du Palais Rohan. Une photographie prise à l’époque montrait l’ampleur et la richesse de ses proportions, une recherche très raffinée dans la manière dont l’accoudoir se raccorde à la ceinture, un richissime répertoire ornemental, d’un style rocaille très épanoui, reprenant exactement certains motifs des boiseries de l’appartement royal et confirmant ainsi le bien-fondé de la tradition de sa provenance. Au fur et à mesure de mes recherches, d’autres exemplaires identiques à celui représenté sur ce document sont apparus et, grâce à des dons ou par des achats, purent retrouver leur bercail strasbourgeois. L’un d’entre eux (don de M. D. Riahi en 1988), fut d’ailleurs d’une importance capitale pour le musée. Il portait sur la ceinture, non seulement la macle des Rohan, mais le nom même de la pièce où il se trouvait: «chambre du dais», l’autre appellation de la chambre du Roi dans les inventaires. Ainsi se trouvait légitimée de manière irréfutable toute la série des autres fauteuils du même modèle, dont celui-ci, qui fut acquis grâce au FRAM. Il contribue donc, avec les autres exemplaires identiques, au remeublement des trois plus belles pièces des Grands Appartements très précisément connus par les inventaires de 1740, 1779, 1790: la Chambre du Roi, où il s’en trouvait deux, le Salon d’Assemblée, où il y en avait six, et la Bibliothèque, où douze fauteuils étaient alignés autour de la table centrale. Jean-Auguste Nahl, berlinois d’origine formé à Paris et à Rome, a travaillé au Palais Rohan (avant de devenir le principal décorateur des résidences de Frédéric II) entre 1738 et 1741 et pourrait ainsi avoir conçu ces sièges. Mais cette attribution n’en demeure pas moins incertaine car nous ne possédons plus les comptes des cardinaux pour la période de la construction du palais.