Georges de La Tour dans les collections des musées du Grand Est - Biographie

Présentation

Biographie Georges de La Tour (1593-1652)

Aujourd’hui, on comptabilise près de quatre-vingts peintures connues de Georges de La Tour – dont une quarantaine d’originaux conservés, ce qui ne constitue qu’une infime partie de l’œuvre du maître. En effet, d’après Jacques Thuillier, La Tour a certainement peint au moins quatre cents à cinq cents toiles.

C’est en 1593 à Vic-sur-Seille, ville résidence des évêques de Metz et centre culturel et artistique important, que Georges de La Tour voit le jour. Fils de boulanger et deuxième d’une fratrie de sept enfants, il est issu d’un milieu d’artisans aisés et de petits propriétaires.

Quand et comment lui vient l’idée de s’adonner à une carrière de peintre ? A-t-il été soutenu dans son choix par le lieutenant-général Alphonse de Rambervilliers ? Hommes de lettres, humaniste et collectionneur, ce dernier aurait pu s’intéresser au jeune Georges de La Tour dans les années 1605-1611, dates auxquelles il réside fréquemment à Vic. Mais faute de documents, il est impossible de tirer des faits précis de toutes les hypothèses formulées par les historiens de l’art. Généralement, aux XVIe et XVIIe siècles, l’apprentissage d’un futur peintre commence après un contrat passé devant notaire, vers l’âge de 11-12 ans. Toutefois, un tel document n’a jamais été retrouvé à ce jour, portant le nom de Georges de La Tour et de son « maître peintre » qui demeure inconnu. Peut-être s’agissait-il de Jacques Bellange. Ce dernier dirigeait un atelier à Nancy jusqu’en 1616 et Jacques Thuillier a souligné la parenté entre ses œuvres et l’art du Vicois dans sa première période.

D’autres thèses évoquent une possible formation à l’étranger. En l’absence de sources, elles se confrontent. Certains estiment que Georges de La Tour, comme beaucoup de jeunes peintres de son époque, a dû se rendre en Italie pour un voyage artistique initiatique, où il aurait notamment pu s’imprégner de l’œuvre réaliste du Caravage (1571-1640). D’autres en revanche, arguant d’une influence nordique et allemande bien présente chez de La Tour, rejoignent le parti d’une formation aux Pays-Bas, auprès des artistes caravagesques d’Utrecht, versés dans les scènes de genre. Jean-Pierre Cuzin, lui, estimait que le style si original de Georges de La Tour tirait ses origines des foyers artistiques de la Lorraine et de Paris, où il aurait pu être influencé par les veines satiriques hollandaise et parisienne, avant de se prononcer en faveur de l’hypothèse d’un voyage en Italie. En effet, ce dernier signale qu’un tableau représentant Diogène, vraisemblablement peint à Rome, serait peut-être l’une des premières productions qui nous soient parvenues de La Tour.

Si les années d’apprentissage du jeune Georges de La Tour suscitent encore bien des débats, sa présence est clairement attestée à Vic-sur-Seille à partir d’octobre 1616. L’année suivante, il épouse Diane Le Nerf, issue de la petite noblesse lunévilloise et fille de l’argentier du duc de Lorraine. En 1619, il s’installe avec sa famille à la cour du château de Lunéville. Il y développe son atelier, accueille des apprentis et connaît une certaine prospérité économique en lien avec les nombreuses commandes de la bourgeoisie et de la noblesse lorraines. Le duc Henri II lui achète des toiles et consent à sa requête revendiquant l’exemption de ses impôts sous prétexte qu’il a épousé « une fille de qualité noble » et que son art est « noble en soy ». La Tour ne parvient toutefois pas à devenir peintre officiel du duc, cette charge étant alors l’apanage de Claude Deruet.

Si son art est jugé noble, ses sujets ne le sont pas, du moins dans un premier temps : après une première série dédiée aux apôtres qui nous est parvenue par originaux et copies, ses toiles présentent pour la plupart des scènes de genre que Jean-Pierre Cuzin qualifie de « représentations réalistes de gueux ». Le quotidien miséreux des personnages, comme pour Les Mangeurs de Pois (copies du musée Georges de La Tour de Vic-sur-Seille et du palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain de Nancy) ou Le Vielleur à la sacoche (original du musée Charles-Friry de Remiremont et du palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain de Nancy), est abordé sans dérision ni indulgence.

L’œuvre de Georges de La Tour évolue cependant dans le contexte troublé de son époque. À partir de 1631, la guerre de Trente Ans, opposant la France et le Saint-Empire romain germanique, fait de la Lorraine un champ de bataille livré au pillage des soldats. La peste sévit à Lunéville, puis en 1638 les troupes françaises attaquent la ville, la mettent à sac, l’incendient. La maison et l’atelier de Georges de La Tour sont détruits. Ses archives, et sans doute la grande majorité de ses toiles, sont perdues. Le peintre et sa famille, peut-être avertis du danger auparavant par Sambat de Pédamont, gouverneur de la ville et parrain de Marie, la plus jeune des filles de La Tour, trouvent alors refuge à Nancy.

Après ces temps de violence et de misère que connut la Lorraine, assurément « La Tour ne pouvait plus être tout à fait le même homme. Ni tout à fait le même peintre », comme l’écrivait Jacques Thuillier. Un changement stylistique s’opère : les toiles deviennent plus symboliques, les scènes s’appauvrissent en détails iconographiques pour s’enrichir d’une spiritualité nouvelle, et s’assombrissent pour éclairer davantage, souvent à l’aide de la flamme d’une bougie ou d’un flambeau, la vie intérieure des protagonistes.  C’est notamment le cas dans une de ses œuvres les plus connues, La femme à la puce, conservée au palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain de Nancy.

La renommée du peintre n’est alors plus à faire : en 1639, il séjourne à Paris auprès du roi Louis XIII et reçoit un paiement « pour affaires concernans le service de sa Majesté ». Il obtient de fait le titre de « peintre ordinaire du roi », en plus d’un logement dans les galeries du Louvre. Après avoir reconstruit son atelier et sa maison à Lunéville, La Tour refuse de payer les impôts, réclamant la prise en compte des privilèges obtenus du duc de Lorraine plusieurs années auparavant. Le titre de commensal du roi, attesté en 1643, lui apporte satisfaction tout en affirmant son lien avec la cour de France. Deux ans plus tard, le nouveau gouverneur de Lorraine, Henri de La Ferté-Senneterre, amateur d’art, va prendre pour habitude de requérir un tableau de La Tour chaque année, en guise d’étrennes, à la ville de Lunéville, jusqu’à la mort du peintre. Les archives gardent ainsi la trace d’une somme de 500 francs versée à La Tour en 1648, pour offrir au gouverneur une « image saint Alexis », sans doute parente de La Découverte du corps de saint Alexis propriété du palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain de Nancy.

Le peintre ne semble pas répondre à des commandes précises. Sa réputation lui permet de suivre son inspiration et de s’adonner à ses sujets de prédilection. Ses toiles et copies aujourd’hui conservées témoignent ainsi de son goût pour les séries. Le peintre reprend volontiers la même thématique, la même disposition, pour chercher à atteindre sans doute une forme de perfection à ses yeux. On connaît ainsi neuf versions différentes du Souffleur à la pipe (palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain de Nancy), plusieurs compositions de Saint Jérôme (Saint Jérôme du musée Georges de La Tour de Vic-sur-Seille et Saint Jérôme lisant du palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain de Nancy) dont on sait que l’une d’elles a été offerte au cardinal de Richelieu, ainsi que de nombreuses variantes de Madeleine, comme La Madeleine au miroir (palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain de Nancy).

Ce sont surtout des scènes religieuses que représente Georges de La Tour à la fin de sa carrière, animé peut-être par le regain de religiosité qui s’étend en Lorraine à la fin de la guerre de Trente Ans, du fait notamment de la présence des franciscains et des carmes. Dans le Saint Jean Baptiste dans le désert (musée Georges de La Tour de Vic-sur-Seille) ou Les Larmes de saint Pierre (collection particulière – musée Georges de La Tour de Vic-sur-Seille), la gravité des scènes représentées reflète une méditation nocturne et solitaire. Le Job et sa femme (musée d’art ancien et contemporain d’Épinal), l’une des dernières productions nous étant parvenues, interprétée d’abord comme un « saint Pierre délivré par l’ange », apparaît bien énigmatique tant la composition est stylisée et dépouillée.

Le peintre décède en 1652, quelques jours après sa femme, atteint d’une pleurésie. L’atelier est repris par son fils Étienne, « peintre du roi », jusqu’en 1658, année durant laquelle celui-ci abandonne la peinture pour un poste de lieutenant général du bailli de Lunéville. Il finira par parachever la quête menée par son père sa vie durant en obtenant des lettres de noblesse.

Comme beaucoup d’artistes du XVIIe siècle, Georges de La Tour et son œuvre sombrent progressivement dans l’oubli. Ses productions sont dispersées et finissent par être attribuées à d’autres peintres, italiens comme Guido Reni, Carlo Saraceni ou Orazio Gentileschi, hollandais tels Hendrick Terbrugghen ou Gerrit van Honthorst, et parfois même espagnols avec des attributions à Francisco de Zurbarán et Vélasquez.

Si l’architecte Alexandre Joly est l’instigateur de la redécouverte de La Tour avec un article de six pages publié dans le Journal de la Société d’Archéologie lorraine en 1863, dans lequel il rend notamment son prénom au maître vicois, c’est réellement l’historien de l’art allemand Hermann Voss qui est resté dans les mémoires comme le « découvreur » de Georges de La Tour. En effet, dans une courte note publiée en 1915, Voss rapproche de mystérieuses signatures de tableaux conservés au musée d’Arts de Nantes avec les notices biographiques faites par quelques archivistes lorrains dans la seconde moitié du XIXe siècle. Surtout, en mettant en relation les toiles de Nantes, le Nouveau-né de Rennes et une gravure intitulée Les Vielleuses, il permet de ressusciter La Tour et de le replacer parmi les plus grands peintres « français du XVIIe siècle. La Tour est rendu au public avec l’exposition « Les Peintres de la Réalité en France au XVIIe siècle », organisée au musée de l’Orangerie de novembre 1934 à février 1935. Depuis, les travaux et les études sur l’œuvre de Georges de La Tour, ainsi que de nouvelles attributions, se sont multipliés, permettant peu à peu de mieux comprendre le génie de ce peintre à la fois à la confluence des inspirations des XVIe et XVIIe siècles et tellement avant-gardiste.

La connaissance de l’œuvre de Georges de La Tour n’en est cependant pas moins toute relative : le peintre et ses réalisations demeurent en grande partie voilés de mystère, ce qui pousse à la fascination. Car, comme le notait Jacques Thuillier en 1972 : « La Tour ne sera plus jamais La Tour. Des siècles d’oubli ne se réparent pas entièrement. »

Juliette La Burthe

Bibliographie

  • THUILLIER (Jacques), Georges de La Tour, Paris, Flammarion, 1992.
  • CUZIN (Jean-Pierre) et ROSENBERG (Pierre) (dir.), Georges de La Tour [cat. exp., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 3 octobre 1997 – 26 janvier 1998], Paris, Réunion des musées nationaux, 1997.
  • CUZIN (Jean-Pierre) et SALMON (Dimitri), Georges de La Tour. Histoire d’une redécouverte, Paris, Gallimard, Réunion des musées nationaux, 1997.
  • BOURDIEU-WEISS (Catherine), CUZIN (Jean-Pierre), DISS (Gabriel), SALVI (Claudia), THURNHERR (Laurent) et ROUVET (Stéphane), Catalogue des peintures et de l’exposition Autour de Brancusi, Ars-sur-Moselle, Serge Domini Éditeur, 2017.
  • SALMON (Dimitri) et ÚBEDA DE LOS COBOS (Andrés) (dir.), Georges de La Tour [cat. exp., Madrid, Musée national du Prado, 23 février – 12 juin 2016], Madrid, Prado, 2016.
  • CUZIN (Jean-Pierre), La Tour, Paris, Éditions Citadelles & Mazenod, 2021.