Georges de La Tour dans les collections des musées du Grand Est - Les originaux

Présentation

Les originaux

L’œuvre de Georges de La Tour, connue de nos jours par une quarantaine de toiles originales et par autant de fidèles copies de peintures aujourd’hui disparues, fut certainement considérable. Ainsi, Jacques Thuillier estimait que La Tour put peindre jusqu’à 400 à 500 toiles au cours de ses quarante années de carrière, s’étalant vraisemblablement du milieu des années 1610 à sa mort en 1652.

Quatre décennies donc, marquées par un œuvre aussi unique que paradoxal, car scindé en deux manières de peindre presque opposées. En effet, de nombreux historiens de l’art ont défendu l’idée d’une production divisée en deux grands moments : aux peintures diurnes du début de carrière, caractérisées par un intense naturalisme au service de la description du genre humain et par des couleurs chatoyantes, succéderait une production par laquelle La Tour s’est imposé comme le maître incontestable des nuits. Aujourd’hui, les spécialistes s’accordent plutôt à dire que, des tableaux diurnes jusqu’aux nocturnes d’une simplification sans précédent qui dominent la production de l’artiste à partir des années 1635-1640, le passage fut certainement bien plus progressif qu’on ne l’a affirmé. Le maître aurait continué à réaliser des œuvres diurnes tout en s’essayant à ses premiers clairs-obscurs dans les années 1630. Ainsi, le Job rallié par sa femme d’Épinal et La femme à la puce de Nancy peuvent être considérés comme des nocturnes relativement précoces, réalisés à une époque où sont créés les grandes scènes de genre diurnes que sont La Diseuse de bonne aventure (New York, Metropolitan Museum of Art) et les deux versions du Tricheur (Fort Worth, Kimbell Art Museum ; Paris, musée du Louvre). De plus, les nombreuses répétitions et variantes d’un même thème attestées par les toiles conservées laissent penser que La Tour aurait « remis sur l’ouvrage » certains sujets diurnes tout au long de sa carrière, son pinceau reprenant les contours d’une figure esquissée jadis jusqu’à tendre vers la perfection du geste. Si le premier Vielleur conservé daterait ainsi des années 1620-1625 (Bruxelles, Musées royaux des beaux-arts de Belgique), la toile de Remiremont aurait, quant à elle, été produite dans les années 1640, après la réalisation de nombreux nocturnes.

L’évolution stylistique du maître n’en est pas moins majeure, son réalisme allant jusqu’à pour ainsi dire s’inverser : l’artiste renonce ainsi progressivement au naturalisme parfois sévère qui caractérise les œuvres diurnes pour voir son écriture se raffiner. Les formes se simplifient, voire se géométrisent, frôlant la déformation, comme dans le fameux original d’Épinal dans lequel Job est dominé par cette figure puissante de couleur vermillon saisissante de beauté. Ces changements plastiques associés à la réduction de la palette confèrent une nouvelle dimension aux toiles, que l’on pourrait qualifier de spirituelle. Le Saint Jean-Baptiste dans le désert conservé dans la cité natale du peintre en est le parfait exemple. Tout comme dans la fameuse Femme à la puce du Musée lorrain, une intensité silencieuse et un profond dépouillement transcendent l’œuvre dans une sorte de recueillement intérieur du sujet, qui n’est peut-être que l’écho de celui du peintre, dans ces années où la Lorraine connaît un regain de religiosité impulsé par la Réforme catholique.

Si les moyens plastiques évoluent, l’œuvre de La Tour n’en trouve pas moins une unité profonde par un questionnement sans cesse renouvelé, cherchant à expliquer la dualité de la condition humaine et des aspirations de l’âme.

 

Margaux Gallani